Asian Connection, l'émission sur les cultures asiatiques - Radio Campus 88.1 - Mardi 19h/20h


tous les mardis de 19h à 20h sur Radio Campus Bordeaux 88.1
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Takeshi Kitano

3. Zatoichi (2003)

Kitano revient avec « Zatoichi », long-métrage qui tranche, c’est le cas de le dire, avec tout ce qu’il a fait jusqu’à maintenant. Le personnage nommé Zatoichi fait partie intégrante de la culture populaire japonaise. Pendant près de 20 ans, l’acteur Shintaro Katsu l’a fait vivre sur le petit écran. Au départ, Kitano ne voulait pas jouer Zatoichi car il avait trop de respect pour Shintaro Katsu disparu en 1997.

Lors d’un repas, Chieko Saito, la directrice d’un théatre d’Asakusa a déclaré à Kitano qu’elle allait lui demander une faveur. Sans se douter de ce qu’il en retournait, Kitano a accepté. Mme Saito lui a alors dit qu’elle voulait voir Takeshi en Zatoichi. Kitano a répondu non, il a d’ailleurs faillit s’exiler à l’étranger pour ne pas avoir à tenir sa promesse. Finalement, Kitano s’est décidé.

Jamais il n’aurait pu le faire si Shintaro Katsu avait encore été en vie. Pour se démarquer de son illustre prédécesseur, Kitano a ré-interprété l’histoire afin de se l’approprier et de l’adapter à son cinéma. Le personnage de Zatoichi change de look, en effet, Kitano a décidé de se teindre les cheveux en blond, de ce fait il s’écarte vraiment de l’image classique de Zatoichi. Dans le film, tout est d’époque, sauf la coiffure de Kitano ! Zatoichi est un aveugle masseur et joueur professionnel. Il roule sa bosse sur les routes nippones du 19ème siècle, sa canne sabre à la main. C’est en fait un samurai redoutable, digne des figures les plus emblématiques du Chambara.

 

« Zatoichi » a beau être un film de commande, il est très intéressant de découvrir comment Kitano va pouvoir relever le défi. Inutile de garder le suspense plus longtemps, le pari est gagné haut la main. Afin de proposer autre chose qu’une simple adaptation de son cinéma au film de sabre, Takeshi Kitano laisse pas mal de ses concepts fétiches au placard et signe un de ses films les plus jouissifs et légers. Le spectateur découvre rapidement un autre Kitano, moins contemplatif, moins reconnaissable. Sa mise en scène est plus
Takeshi Kitano

dynamique et linéaire. Seuls quelques passages relèvent de la signature purement formelle du maître comme la femme qui suit l’homme en file indienne, marque de fabrique depuis « A scene at the sea » et poussé à l’extrême avec « Dolls » ou encore le montage scène réelle/flash back dans le même plan rappelant les montages époustouflants de «Hana-bi » et « Dolls ».

Même si « Zatoichi » est moins marqué stylistiquement que les autres films, il se révèle être un authentique film de Kitano. Par exemple, les personnages sont très fidèles à son cinéma. Vous croiserez une vieille dame sage et accueillante, deux enfants rendus orphelins par les armes que l’on suit sur plusieurs années (de l’enfance à l’adolescence) garants de la dose dramatique indispensable à un film de beat Takeshi, une galerie très fournie de méchants en tout genre, des comiques de service à mourir de rire tout droit échappés de « L’été de Kikujiro », un samurai charismatique aimé d’une femme malade. Celui-ci va se positionner du mauvais côté de la frontière qui sépare le bien du mal. C’est aussi le seul combattant à pouvoir inquiéter le Héros.

 

Tadanobu Asano
Ce samurai employé à contre emploi est interprété par l’impeccable Tadanobu Asano déjà vu dans « Tabou » de Oshima, « Ichi the Killer » de Miike ou encore dans « Gojoe » de Sogo Ishii.
Ce ronin, garde du corps à ses heures est un personnage à la fois réel et irréel, il ne pose pas de question, il s’exécute ? En fait, son corps est le prolongement de son sabre et non l’inverse. Tous les coups qu’il porte font mouche. Zatoichi est son contraire. Il apparaît tout de suite sympa en aidant
une paysanne à porter ses lourds fardeaux mais le spectateur n’est pas dupe et cela dès la première minute du film qui présente Zatoichi dans ses œuvres, à savoir une habilité et une agilité rare dans le maniement du sabre. Notre masseur aveugle a beau être gentil, chacun de ses combats se traduit par une débauche de violence inouïe et fulgurante. Le sang gicle en geysers et les corps sont mutilés, lacérés ou démembrés. Les giclées d’hémoglobine sont réalisées en 3d et très bien intégrées à l’action réelle. Une première pour Kitano. Cette violence est en fait une violence de comic book, elle est trop démonstrative pour qu’on la juge au premier degré.

 

Certes, on a pas envie de se marrer quand on voit un combat de Zatoichi mais on en est pas pour autant malade jusqu’à quitter la salle. Rien à voir avec la violence d’un « Violent Cop » ou d’un « Irréversible ». Chapeau à Kitano l’acteur, plus expressif qu’à son habitude et parfaitement crédible dans on rôle de combattant aveugle. Son style est jouissif à souhait et sa rapidité d’exécution est foudroyante. Les autres duels menés par le garde du corps de la partie adverse sont eux aussi très réussis et jamais répétitifs.
Cette violence dictée par les armes se marie à celle plus psychologique et désespérée incarnée par les 2 orphelins voulant venger l’assassinat de leurs parents. Leur histoire dramatique est très touchante et souvent émouvante. Je veux rien dévoiler mais attendez vous à être maintes fois surpris par des rebondissements scénaristiques très bien amenés. La violence est donc un personnage central du film de Kitano mais elle est largement contrebalancée par un humour irrésistible.

 

Le neveu de la paysanne chez qui loge Zatoichi, féru de jeu et accessoirement prof pas du tout crédible de sabre est le ressort comique principal du film. Chacune de ses apparitions est construite de manière à susciter le rire du spectateur et ça marche ! On notera aussi le voisin simple d’esprit qui court à moitié nu, armé d’une lance, tout autour des maisons en vociférant. « Zatoichi » est donc très riche en personnalités diverses et variées. Les méchants qui mposent des taxes aux pauvres
ipaysans ou marchands sont en fait les futurs yakusas des autres films de Kitano. Ils n’hésitent pas à tuer des innocents pour augmenter leur pouvoir ou même à s’engluer dans la mécanique de l’horreur des guerres de gang, ça rappelle « Sonatine ». Kitano parle du 19ème siècle comme il l’a fait avec le 20ème. Les personnages, les lieux et les enjeux sont les mêmes. On retrouve donc les yakuzas, l’univers du jeu et des paris comme dans « L’été de Kikujiro » et toujours quelques électrons libres, en marge d’une société dirigiste et financière.

 

Aux commandes de « Zatoichi », Kitano excelle et s’amuse, c’est évident. Les plans sont magnifiques, mention spéciale au combat sous la pluie. Les cadrages, c’est une habitude chez ce réalisateur sont élaborés au millimètre. La direction artistique est parfaite et on ne s’ennuie jamais. Les combats arrivent toujours au bon moment, les dialogues sont très bien écrits et préparés avec soin comme le confirme tadanobu Asano surprit par un tel degré de professionnalisme. En fait, on a vraiment l’impression que Kitano n’en est pas à son premier
film de sabre. Autre prouesse de mise en scène : la séquence finale de claquettes qui n’a rien à envier aux grandes comédies musicales d’outre Atlantique ! Kitano est capable de tout, il se remet en question en permanence. Zatoichi étant aveugle, Kitano a voulu travailler au maximum le son du film. Jamais il n’avait atteint un tel degré de perfection. Les bruits des lames et des coups portés sont assourdissants et font froid dans le dos et je parle même pas de la scène finale qui est d’une intensité sidérante.

 

Le mixage très travaillé du son se marie très bien avec la musique synthétique mais sympathique de Keichi Suzuki. Et oui, pour une fois ce n'est pas Joe Isaishi qui s’y colle ! Même si elle n’est pas toujours parfaite ou bien utilisée, la partition au style un peu décalé par rapport aux situations et surtout à l’époque confère au film une ambiance inédite. Notons la minie chorégraphie musicale des paysans et de leurs pioches frappant la terre, plutôt bien trouvée et originale. « Zatoichi » est un grand film, à la fois sérieux et ludique qui renouvelle à la fois le cinéma de Kitano et le film de sabre. Si certains réalisateurs ont du mal à signer un film de commande, Kitano s’en tire à merveille, en s’appropriant tous les thèmes du Chambara sans renier l’essence même de son cinéma. Takeshi Kitano signe un des films les plus excitants de l’année, à la fois original et intelligent, chapeau bas Monsieur Kitano ! Le film a obtenu le Lion d’argent du festival de Venise 2003 ainsi qu’une foule d’autres prix internationaux.

Par Nicolas Loubère

 

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