Asian Connection, l'émission sur les cultures asiatiques - Radio Campus 88.1 - Mardi 19h/20h


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Hero et le Wu Xia Pian


Une petite précision avant de débuter, le Wu Xia Pian désigne le film de sabre chinois. A ne pas confondre avec le film de sabre japonais que l’on nomme Chambara, sublimé par Akira Kurosawa.

Dans les années 60 et 70, le Wu Xia Pian était alors dans une période propice, on peut réellement parler d’âge d’or. On pense directement au grand Chang Cheh, réalisateur notamment de « La Rage du Tigre » ou encore à Wang Yu et son « Dieu de la Guerre » lorgnant vers « Les Sept Samurais ». Pourtant, ce genre cinématographique a commencé à s’essouffler vers la fin des années 70 où l'on assista rapidement à la petite mort du film de sabre.

La Dernière Chevalerie
Le film testament de cette époque faste passée est sans aucun doute « La Dernière Chevalerie » de John Woo sorti sur les écrans en 1979. John Woo, fidèle disciple de Chang Cheh, qui restera son modèle, livre un film majestueux qui rend hommage à son maître. « La Dernière Chevalerie » signifie bien la fin d’une époque, la fin d’une certaine idée du héros au sens classique du terme, au profit d’une nouvelle classe de personnage, le lettré limite politicien qui use de toutes les armes
et de tous les stratagèmes, même les plus fourbes pour arriver à ses fins. John Woo propose des chorégraphies martiales dignes des plus grands films de sabre et prouve déjà, par l’instauration de ses thème personnels, qu’il est un grand cinéaste en devenir. Ceci presque dix ans avant sa consécration , légitimée par ses polars bibliques.
L’histoire du film de John Woo : « La Dernière Chevalerie » est simple mais touchante. C’est l’histoire d’un homme qui veut venger son clan en utilisant l’amitié voire la fraternité pour y arriver. Il va ainsi rencontrer les plus fines lames de la ville afin de les engager dans des duels à mort jusqu’à l’aboutissement ultime : sa propre vengeance. Trahison, complot, intelligence et fourberies se croisent tout au long du film mais l’amitié pure et virile puisant sa source dans le dépassement de soi finira par triompher de l’adversité comme dans tous les bons films de John Woo qui excelle dans une mise en scène épurée. Le sang coule à flot, la violence est omniprésente et fatale. Les personnages sont les derniers représentants d’un ordre moral fort, d’un idéal devenu obsolète et d’une pureté d’esprit de moins en moins adaptée aux valeurs d’une ère qui aura, de toute façon raison d’eux.

Le duo héroïque du film est composé de deux valeureux chevaliers qui vivent déjà en marge d’une société qui ne leur est plus adaptée. Ils sont exclus, l’un a rangé son épée, l’autre se complaît dans l’alcool et le métier peu valorisant de chasseur de primes alors qu’une femme à la harpe mélodieuse et raffinée voit en lui un crédible prétendant.
En 1979, le film ne rapporte pas beaucoup d’argent, il est boudé par la plupart des spectateurs. La sortie récente du film accompagné
La Dernière Chevalerie
de « Hand of Death » aussi de John Woo en double DVD chez HK vidéo est l’occasion pour nous de découvrir ou redécouvrir ce chef d’œuvre, témoin d’une époque révolue. Notons que le DVD est d’une qualité assez exceptionnelle. Seule l’ambiance sonore et quelques effets visuels permettent de dater le film.

Zu, les guerriers de la montagne magique
Le Wu Xia Pian connaît une renaissance dans les débuts des années 80 sous la houlette de Tsui Hark, Patrick Tam et Tony Ching Siu Tung. Ce revival est composé de 3 chef d’œuvres, figures de proue d’une vraie nouvelle vague : « The Sword » de Patrick Tam, « Duel To The Death » de Ching Siu Tung et « Zu, les guerriers de la montagne magique » de Tsui Hark. Les deux derniers titres cités marquent un tournant dans les chorégraphies martiales et les effets spéciaux chinois avec l’avènement des câbles et l’apparition des premiers effets spéciaux visuels, certes datés mais jamais vu à l’époque. Cette nouvelle vague permet à Tsui Hark et Ching Siu Tung d’imposer leurs noms et leur savoir faire, aujourd’hui reconnus internationalement.

Hong Kong revient en force au début des années 90, toujours dominé par le chef de file : Tsui Hark et ses nouveaux Wu Xia Pian marquant l’apologie du héros, à savoir la saga « Il était une fois en Chine ». Les trois premiers films sont interprétés notamment par l’inévitable Jet Li. L’acteur joue le rôle de Won Fei Hung, le plus charismatique des héros chinois. Un homme seul contre tous, seul rempart à une occidentalisation forcenée, figure emblématique et dernier représentant des principales valeurs culturelles, tient tête à la
Il était une fois en Chine
montée en puissance d’une nouvelle donne sociétale. C’est aussi le dernier des héros comme c’était aussi le cas dans « La Dernière Chevalerie ». On assiste là aux derniers actes héroïques avant un changement inéluctable.
Le héros reste à coup sûr une figure du passé, lié à une époque donnée ; une entité forte mais vulnérable face à la puissance de tout un groupe, de tout un pays. Nos héros irréductibles, que l’on apprécie par leurs prouesses et leur dignité ne peuvent plus exister dans une société communautaire, la retraite est alors la seule alternative, elle représente souvent la mort du Héros.

Jet Li dans Hero
Vous aurez sans doute compris si vous suivez l’actualité cinéma, que tout ce qui vient d’être dit s’applique au nouveau film de Zhang Yimou : « Hero » sorti depuis le 24 septembre dans nos salles obscures.
Premier point, le scénario de « Hero » est simple mais pas simpliste. Il narre les prémices de l’avènement du premier empire chinois mené par le roi de la dynastie Qin constamment harcelé par des actes héroïques visant à le supprimer. C’est

l’histoire d’un homme confronté à ses éventuels assassins, un roi qui doit faire face aux derniers héros d’une époque vouée à disparaître, héros issus des 7 royaumes de Chine englués dans des guerres ancestrales.

« Hero » de Zhang Yimou a beaucoup été critiqué pour son discours que certains jugent pro-communiste rendant hommage au système politique actuel. Le film a en effet été très bien accueilli par le gouvernement en place. Il en faut pas réduire « Hero » à un message politique. C’est avant tout un film d’une intensité rare, d’une beauté à couper le souffle et d’une originalité rarement vue. Aucun autre essai cinématographique ne ressemble à « Hero ». L’idée de le comparer à « Tigre et Dragon » ou à n’importe quel autre Wu Xia Pian est superflue et hors de propos. Alors que le film de Ang Lee était construit et façonné de manière à toucher tous les publics, surtout occidentaux, « Hero » de Zhang Yimou est beaucoup plus ancré dans la culture chinoise. Le film a d’ailleurs bien mieux marché en Asie que « Tigre et dragon ».


« Hero » est visuellement somptueux, du jamais vu au cinéma. On croise dans le film toutes les formes de beauté qui existent. A commencer par les lieux choisis. Le combat entre Maggie Cheung et Zhang Ziyi (Neige et Lune) dans les feuilles mortes automnales est d’une intensité visuelle inégalée et probablement inégalable. Lame Brisée qui porte bien son nom, interprété par Tony leung Chiu Wai, Sans Nom, joué par jet Li et Donnie Yen qui incarne Ciel sont d’une beauté surnaturelle faisant corps avec l’esthétique léchée du long métrage.
Maggie Cheung dans Hero
Très peu de personnages donc, mais tous importants, tous intéressants, à commencer par le Roi qui dégage une force, une présence qui le rendent intouchable, voire indestructible.

Rashomon

La construction du film est abordée tel un triptyque, à la manière de « Rashomon » de Kurosawa. Trois fois la même histoire vue ou imaginée par des personnages différents. Ce choix scénaristique est renforcé par la photo du film que l’on doit à Christopher Doyle, le génial chef opérateur de tous les succès de Wong Kar Wai. Chaque interprétation de l’histoire est symbolisée par une couleur différente. Le film commence alors dans des tons et un camaïeu de rouges et d’oranges qui sont en adéquation avec le propos du récit. Place ensuite au bleu et à ses destins tragiques. « Hero » change de couleur tel un caméléon tout en restant homogène.

Que le film soit teinté de rouge, de bleu, de vert (sublime flash back sur une tentative d’assassinat du roi par Lame Brisée) ou de blanc, « Hero » reste le même, reste une

expérience inédite, un ovni cinématographique, une fresque où les sentiments sont bouleversants, où les héros croisent le fer pour un dernier geste héroïque, pour un sacrifice ultime. Dans « Hero », le tout prime sur l’individu, mais Zhang Yimou ne cherche pas à faire adhérer le spectateur à une doctrine communautaire, il l’amène à s’interroger sur des idées, sur une pensée tout à fait légitime.

Les chorégraphies martiales que l’on doit à Ching Siu Tung sont elles aussi très originales. Si l’on peut penser à divers moments à Yuen Woo Ping sur « Tigre et Dragon », les combats sont à l’image du film totalement inédits. Les joutes existent dans un lyrisme, une poésie de tous les instants, rendant chacun des gestes des héros, épurés de toute contemplation prétentieuse, de véritables outils de narration. Même si les chorégraphies sont lentes voire statiques ,il n’empêche que « Hero » possède aussi une gestuelle incontrôlée, incarnée
Zhang Ziyi dans Hero

par les faits de ces personnages comme pour la scène d’amour très brève unissant dans le rouge Lame Brisée et Lune.

Le long métrage de Zhang Yimou possède une identité culturelle forte. Celle-ci est amplifiée par le personnage de lame Brisée qui a troqué son épée pour un pinceau de calligraphe. C’est la calligraphie qui triomphera car plus appropriée à la situation tendue que l’héroïsme et ses rouages. « Hero » possède quelques faiblesses à commencer par le bâclage du personnage Ciel qui pourtant possède un potentiel inouï. Il va sans dire que le film à été coupé pour son exploitation internationale. Vivement une version longue avec plus de scènes avec Ciel qui est vraiment très charismatique.


Tony Leung et Maggie Cheung dans Hero
Autre faiblesse, les effets spéciaux un tantinet inégaux. Si l’on ne peut que saluer Ching Siu Tung et ses câbles très bien gérés, on peut être un peu plus réservé sur les effets numériques qui oscillent entre le très bon et moins bon. Mais ce n’est pas grand chose en comparaison des multiples qualités du film.
Tan Dun, le déjà compositeur de la musique de « Tigre et Dragon » revient avec une bande originale soignée dans le plus pur style qu’il s’est créé ; elle convient parfaitement à l’ambiance générale de «

Hero ». La musique est renforcée par des cris (parfois un peu trop présents) et des bruitages qui font mouche.


« Hero » est une réussite filmique d’une rare beauté qui a su allier le fond et la forme dans un déluge visuel inédit. C’est un des chocs de l’année 2003, une expérience unique et touchante que l’on attend de pied ferme en DVD pour 2004. J’oubliais, c’est fou ce que Maggie Cheung et Zhang Ziyi sont belles dans ce film, elles sont tout simplement venues d’une autre planète.

 

Par Nicolas Loubère

 

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