Une petite précision avant
de débuter, le Wu Xia Pian désigne le film de
sabre chinois. A ne pas confondre avec le film de sabre japonais
que l’on nomme Chambara, sublimé par Akira Kurosawa.
Dans les années 60 et
70, le Wu Xia Pian était alors dans une période
propice, on peut réellement parler d’âge
d’or. On pense directement au grand Chang Cheh, réalisateur
notamment de « La Rage du Tigre » ou encore à
Wang Yu et son « Dieu de la Guerre » lorgnant vers
« Les Sept Samurais ». Pourtant, ce genre cinématographique
a commencé à s’essouffler vers la fin des
années 70 où l'on assista rapidement à
la petite mort du film de sabre.
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Le film testament de
cette époque faste passée est sans aucun
doute « La Dernière Chevalerie » de
John Woo sorti sur les écrans en 1979. John Woo,
fidèle disciple de Chang Cheh, qui restera son
modèle, livre un film majestueux qui rend hommage
à son maître. « La Dernière
Chevalerie » signifie bien la fin d’une époque,
la fin d’une certaine idée du héros
au sens classique du terme, au profit d’une nouvelle
classe de personnage, le lettré limite politicien
qui use de toutes les armes |
et de tous les stratagèmes,
même les plus fourbes pour arriver à ses
fins. John Woo propose des chorégraphies martiales
dignes des plus grands films de sabre et prouve déjà,
par l’instauration de ses thème personnels,
qu’il est un grand cinéaste en devenir. Ceci
presque dix ans avant sa consécration , légitimée
par ses polars bibliques.
L’histoire du film de John Woo : « La Dernière
Chevalerie » est simple mais touchante. C’est
l’histoire d’un homme qui veut venger son
clan en utilisant l’amitié voire la fraternité
pour y arriver. Il va ainsi rencontrer les plus fines
lames de la ville afin de les engager dans des duels à
mort jusqu’à l’aboutissement ultime
: sa propre vengeance. Trahison, complot, intelligence
et fourberies se croisent tout au long du film mais l’amitié
pure et virile puisant sa source dans le dépassement
de soi finira par triompher de l’adversité
comme dans tous les bons films de John Woo qui excelle
dans une mise en scène épurée. Le
sang coule à flot, la violence est omniprésente
et fatale. Les personnages sont les derniers représentants
d’un ordre moral fort, d’un idéal devenu
obsolète et d’une pureté d’esprit
de moins en moins adaptée aux valeurs d’une
ère qui aura, de toute façon raison d’eux. |
Le duo héroïque
du film est composé de deux valeureux chevaliers
qui vivent déjà en marge d’une société
qui ne leur est plus adaptée. Ils sont exclus,
l’un a rangé son épée, l’autre
se complaît dans l’alcool et le métier
peu valorisant de chasseur de primes alors qu’une
femme à la harpe mélodieuse et raffinée
voit en lui un crédible prétendant.
En 1979, le film ne rapporte pas beaucoup d’argent,
il est boudé par la plupart des spectateurs. La
sortie récente du film accompagné |
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de « Hand of
Death » aussi de John Woo en double DVD chez HK
vidéo est l’occasion pour nous de découvrir
ou redécouvrir ce chef d’œuvre, témoin
d’une époque révolue. Notons que le
DVD est d’une qualité assez exceptionnelle.
Seule l’ambiance sonore et quelques effets visuels
permettent de dater le film. |
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Le Wu Xia Pian connaît
une renaissance dans les débuts des années
80 sous la houlette de Tsui Hark, Patrick Tam et Tony
Ching Siu Tung. Ce revival est composé de 3 chef
d’œuvres, figures de proue d’une vraie
nouvelle vague : « The Sword » de Patrick
Tam, « Duel To The Death » de Ching Siu Tung
et « Zu, les guerriers de la montagne magique »
de Tsui Hark. Les deux derniers titres cités marquent
un tournant dans les chorégraphies martiales et
les effets spéciaux chinois avec l’avènement
des câbles et l’apparition des premiers effets
spéciaux visuels, certes datés mais jamais
vu à l’époque. Cette nouvelle vague
permet à Tsui Hark et Ching Siu Tung d’imposer
leurs noms et leur savoir faire, aujourd’hui reconnus
internationalement. |
Hong Kong revient en
force au début des années 90, toujours dominé
par le chef de file : Tsui Hark et ses nouveaux Wu Xia
Pian marquant l’apologie du héros, à
savoir la saga « Il était une fois en Chine
». Les trois premiers films sont interprétés
notamment par l’inévitable Jet Li. L’acteur
joue le rôle de Won Fei Hung, le plus charismatique
des héros chinois. Un homme seul contre tous, seul
rempart à une occidentalisation forcenée,
figure emblématique et dernier représentant
des principales valeurs culturelles, tient tête
à la |
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montée en puissance
d’une nouvelle donne sociétale. C’est
aussi le dernier des héros comme c’était
aussi le cas dans « La Dernière Chevalerie
». On assiste là aux derniers actes héroïques
avant un changement inéluctable.
Le héros reste à coup sûr une figure
du passé, lié à une époque
donnée ; une entité forte mais vulnérable
face à la puissance de tout un groupe, de tout
un pays. Nos héros irréductibles, que l’on
apprécie par leurs prouesses et leur dignité
ne peuvent plus exister dans une société
communautaire, la retraite est alors la seule alternative,
elle représente souvent la mort du Héros.
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Vous aurez sans doute
compris si vous suivez l’actualité cinéma,
que tout ce qui vient d’être dit s’applique
au nouveau film de Zhang Yimou : « Hero »
sorti depuis le 24 septembre dans nos salles obscures.
Premier point, le scénario de « Hero »
est simple mais pas simpliste. Il narre les prémices
de l’avènement du premier empire chinois
mené par le roi de la dynastie Qin constamment
harcelé par des actes héroïques visant
à le supprimer. C’est |
l’histoire d’un
homme confronté à ses éventuels assassins,
un roi qui doit faire face aux derniers héros d’une
époque vouée à disparaître,
héros issus des 7 royaumes de Chine englués
dans des guerres ancestrales.
« Hero » de Zhang Yimou a
beaucoup été critiqué pour son discours
que certains jugent pro-communiste rendant hommage au
système politique actuel. Le film a en effet été
très bien accueilli par le gouvernement en place.
Il en faut pas réduire « Hero » à
un message politique. C’est avant tout un film d’une
intensité rare, d’une beauté à
couper le souffle et d’une originalité rarement
vue. Aucun autre essai cinématographique ne ressemble
à « Hero ». L’idée de
le comparer à « Tigre et Dragon » ou
à n’importe quel autre Wu Xia Pian est superflue
et hors de propos. Alors que le film de Ang Lee était
construit et façonné de manière à
toucher tous les publics, surtout occidentaux, «
Hero » de Zhang Yimou est beaucoup plus ancré
dans la culture chinoise. Le film a d’ailleurs bien
mieux marché en Asie que « Tigre et dragon
». |
« Hero »
est visuellement somptueux, du jamais vu au cinéma.
On croise dans le film toutes les formes de beauté
qui existent. A commencer par les lieux choisis. Le combat
entre Maggie Cheung et Zhang Ziyi (Neige et Lune) dans
les feuilles mortes automnales est d’une intensité
visuelle inégalée et probablement inégalable.
Lame Brisée qui porte bien son nom, interprété
par Tony leung Chiu Wai, Sans Nom, joué par jet
Li et Donnie Yen qui incarne Ciel sont d’une beauté
surnaturelle faisant corps avec l’esthétique
léchée du long métrage. |
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Très peu de personnages donc, mais
tous importants, tous intéressants, à commencer
par le Roi qui dégage une force, une présence
qui le rendent intouchable, voire indestructible. |
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La construction du film est abordée tel un
triptyque, à la manière de « Rashomon
» de Kurosawa. Trois fois la même histoire
vue ou imaginée par des personnages différents.
Ce choix scénaristique est renforcé par
la photo du film que l’on doit à Christopher
Doyle, le génial chef opérateur de tous
les succès de Wong Kar Wai. Chaque interprétation
de l’histoire est symbolisée par une couleur
différente. Le film commence alors dans des tons
et un camaïeu de rouges et d’oranges qui
sont en adéquation avec le propos du récit.
Place ensuite au bleu et à ses destins tragiques.
« Hero » change de couleur tel un caméléon
tout en restant homogène.
Que le film soit teinté de rouge, de bleu, de
vert (sublime flash back sur une tentative d’assassinat
du roi par Lame Brisée) ou de blanc, «
Hero » reste le même, reste une
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expérience
inédite, un ovni cinématographique, une
fresque où les sentiments sont bouleversants, où
les héros croisent le fer pour un dernier geste
héroïque, pour un sacrifice ultime. Dans «
Hero », le tout prime sur l’individu, mais
Zhang Yimou ne cherche pas à faire adhérer
le spectateur à une doctrine communautaire, il
l’amène à s’interroger sur des
idées, sur une pensée tout à fait
légitime. |
Les chorégraphies
martiales que l’on doit à Ching Siu Tung
sont elles aussi très originales. Si l’on
peut penser à divers moments à Yuen Woo
Ping sur « Tigre et Dragon », les combats
sont à l’image du film totalement inédits.
Les joutes existent dans un lyrisme, une poésie
de tous les instants, rendant chacun des gestes des héros,
épurés de toute contemplation prétentieuse,
de véritables outils de narration. Même si
les chorégraphies sont lentes voire statiques ,il
n’empêche que « Hero » possède
aussi une gestuelle incontrôlée, incarnée
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par les faits de ces personnages comme
pour la scène d’amour très brève
unissant dans le rouge Lame Brisée et Lune.
Le long métrage de Zhang Yimou possède
une identité culturelle forte. Celle-ci est amplifiée
par le personnage de lame Brisée qui a troqué
son épée pour un pinceau de calligraphe.
C’est la calligraphie qui triomphera car plus appropriée
à la situation tendue que l’héroïsme
et ses rouages. « Hero » possède quelques
faiblesses à commencer par le bâclage du
personnage Ciel qui pourtant possède un potentiel
inouï. Il va sans dire que le film à été
coupé pour son exploitation internationale. Vivement
une version longue avec plus de scènes avec Ciel
qui est vraiment très charismatique. |
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Autre faiblesse, les
effets spéciaux un tantinet inégaux. Si
l’on ne peut que saluer Ching Siu Tung et ses câbles
très bien gérés, on peut être
un peu plus réservé sur les effets numériques
qui oscillent entre le très bon et moins bon. Mais
ce n’est pas grand chose en comparaison des multiples
qualités du film.
Tan Dun, le déjà compositeur de la musique
de « Tigre et Dragon » revient avec une bande
originale soignée dans le plus pur style qu’il
s’est créé ; elle convient parfaitement
à l’ambiance générale de «
|
Hero ». La musique
est renforcée par des cris (parfois un peu trop
présents) et des bruitages qui font mouche.
« Hero » est une réussite filmique
d’une rare beauté qui a su allier le fond
et la forme dans un déluge visuel inédit.
C’est un des chocs de l’année 2003,
une expérience unique et touchante que l’on
attend de pied ferme en DVD pour 2004. J’oubliais,
c’est fou ce que Maggie Cheung et Zhang Ziyi sont
belles dans ce film, elles sont tout simplement venues
d’une autre planète.
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Par Nicolas Loubère
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