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Yoshimi
Matsubara est en plein drame familial, elle divorce de
son mari et bataille dur pour obtenir le droit de garder
sa fille Ikuko âgée de six ans. Le mari,
impitoyable use de toutes les armes pour décrédibiliser
la pauvre Yoshimi jusqu’à raconter des faits
datant d’avant le mariage. Mais Ikuko veut rester
avec sa mère et l’entente entre les deux
personnages féminins est parfaite. Yoshimi Matsubara
doit alors trouver un nouvel appartement et Ikuko est
forcée de quitter la maternelle où elle
avait tous ses amis. Ce déracinement représente
la première arme choisie par Hideo Nakata pour
bâtir et imposer sa mécanique de l’effroi.
Yoshimi et Ikuko se rendent à
un rendez-vous dans un immeuble où il y a des logements
vacants. Sous une pluie battante, elles font la connaissance
d’un concierge pas |
très bavard
et d’un commercial pas très honnête.
Après la visite de l’appartement, Yoshimi
décide de s’installer dans cet immeuble pourtant
lugubre et humide. Très vite, ce nouveau lieu va
devenir une sorte de prison prise d’assaut par les
eaux et hantée par le fantôme d’une
fillette abandonnée jadis par sa mère et
habitant le même immeuble. A aucun moment ou presque,
le spectateur peut prendre du recul face à l’horreur
qui s’installe et perdure avec force tout au long
du film. |
Les
acteurs, peu nombreux, sont parfaits et sont très
proches du spectateur qui peut facilement s’identifier
aux personnages. L’idée du divorce et de
la famille monoparentale alliée à celle
de la perte de repères est une idée universelle
qui est récurrente dans la société
contemporaine. Dans, Dark Water, tous les repères
prennent l’eau et cela très vite, implacablement.
Seuls les rapports privilégiés mère/fille
tentent de subsister mais ils sont eux aussi trop souvent
morcelés et rapidement inondés par les innombrables
bâtons que les personnages ont dans leurs roues.
Ainsi, la recherche d’emploi et les horaires tardifs
empêchent la maman Yoshimi de récupérer
Ikuko à l’heure quand l’école
prend fin. Yoshimi est hantée par une possible
perte ou disparition de sa fillette et encore davantage
quand elle découvre qu’une petite fille a
disparu il y a deux ans après que sa mère
l’ai abandonnée. Cette petite fille s’appelant
Mitsuko et dont on a perdu la trace va vite effectuer
un come-back qui va noyer le spectateur dans une ambiance
à |
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couper au couteau.
L’appartement prends l’eau et devient insalubre,
aussi, la fuite est impossible et Hideo Nakata nous plonge
dans l’horreur comme il avait su le faire avec Ring. |
Il retrouve toute sa grâce
et sa justesse de ton. Pas de sang, pas d’effets spéciaux
numériques, pas de monstres venus d’ailleurs, pas
de cassette vidéo maudite mais un savoir faire inégalé
dans l’art de faire peur. L’atmosphère du
film est glaciale, les lieus sont gris et déserts, mais
où sont passé les autres locataires de l’immeuble
? Très peu de couleurs si ce n’est un petit sac
d’enfant rouge qui va devenir très rapidement une
source d’angoisse supplémentaire. Nakata joue avec
nos sentiments et nos points faibles pour nous jeter, tel un
pavé, dans une mare à l’eau douteuse. Les
journées de beau temps brillent par leur absence et la
pluie et l’humidité gagnent constamment du terrain
jusqu’à s’insérer dans les cauchemars
et les peurs des différents protagonistes.
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Vous
ne regardez jamais plus votre baignoire comme avant, après
avoir vu Dark Water. Yoshimi ne sait plus où elle
en est, ne sait plus ce qu’il faut qu’elle
fasse, ne cesse de vouloir rester digne face à
sa fille mais se trouve être immergée par
les rouages de l’horreur absolue. On retrouve dans
ce long métrage tous les ingrédients qui
avaient fait le succès de Ring et de ses séquelles
mais les nuances sont tout de même nombreuses. On
quitte ici le domaine de la |
malédiction
et de la légende pour un univers plus quotidien.
Pourtant, les deux films se ressemblent. Les partis pris
de la réalisation, du montage, du récit
et de l’escalade vers l’horreur sont les mêmes
dans Dark Water que dans Ring. |
Les questions qui émergent
tout au long de Dark Water trouvent vite des réponses
comme c’était aussi le cas de Ring. On retrouve
même, parsemées tout au long du film des allusions
à Ring, tels des caméras de surveillances qui
rappellent la vidéo maudite de Ring tout comme l’attrait
persistant de Nakata pour tout ce qui est capillaire. L’ambiance
des deux films est aussi très proche et les personnages
masculins sont effacés aux profits d’une intrigue
plus féministe. Cet effacement de tout ce qui est masculin
est aussi un facteur de la réussite de Dark Water. En
effet, la seule scène du film qui marque une pause dans
l’horreur est celle dans laquelle le pourcentage d’hommes
est supérieur à celui des personnages féminins.
L’homme est perçu
chez Nakata comme un être rationnel et rassurant.
Le récit horrifique n’a donc pas intérêt
à développer ce type de personnage c’est
pour cela que les personnages principaux de Dark Water
sont du sexe féminin. Mais que serait l’ambiance
de Dark Water sans les effets sonores et la musique du
génial Kenji Kawai ? Il prouve ici encore qu’il
est sans doute le plus grand compositeur de musiques de
films d’angoisse en activité. Les sons et
les bruitages du film sont tellement réussis qu’ils
provoquent chez le |
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spectateur un malaise
omniprésent et des frissons constants. Presque
toutes les apparitions de Mitsuko, la petite fille abandonée
sont accompagnées d’effets sonores traumatisants
et venant d’un autre monde. |
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Dark
Water prolonge avec brio la nouvelle vague du cinéma
d’horreur asiatique, vague provoquée par
Tsukamoto et entretenue depuis par des réalisateurs
talentueux comme Hideo Nakata, Takeshi Miike avec Audition
et Kyoshi Kurosawa et ses angoissants Cure et Kairo. Avec
Dark Water, Nakata va encore plus loin dans l’horreur
et livre un film d’un prodigieux impact. Le réalisateur
dépeint les dysfonctionnements de la société
japonaise dans un récit féministe, à
contre courant du machisme à la japonaise, qui
pose le doigt sur un des maux de notre époque,
à savoir la pénibilité instaurée
par un |
drame familial
tel que le divorce et la difficulté rencontrée
par un femme qui ne demande rien d’autre que le
sourire de sa fille. Le final du film montre, sans trop
en révéler que cet objectif n’est
pas facile à atteindre. Dark Water est un film
exemplaire, quasi-parfait qui marquera vos mémoires
et qui restera comme un des films d’horreurs les
plus réussis. Hideo Nakata est le réalisateur
le plus apte à diriger un film comme Dark Water,
à des années lumières des multiples
remakes passées ou futurs au demeurant pathétiques,
inutiles et sans substance. |
Par Nicolas Loubère
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