Asian Connection, l'émission sur les cultures asiatiques - Radio Campus 88.1 - Mardi 19h/20h


tous les mardis de 19h à 20h sur Radio Campus Bordeaux 88.1
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Dark Water

 

Yoshimi Matsubara est en plein drame familial, elle divorce de son mari et bataille dur pour obtenir le droit de garder sa fille Ikuko âgée de six ans. Le mari, impitoyable use de toutes les armes pour décrédibiliser la pauvre Yoshimi jusqu’à raconter des faits datant d’avant le mariage. Mais Ikuko veut rester avec sa mère et l’entente entre les deux personnages féminins est parfaite. Yoshimi Matsubara doit alors trouver un nouvel appartement et Ikuko est forcée de quitter la maternelle où elle avait tous ses amis. Ce déracinement représente la première arme choisie par Hideo Nakata pour bâtir et imposer sa mécanique de l’effroi.

Yoshimi et Ikuko se rendent à un rendez-vous dans un immeuble où il y a des logements vacants. Sous une pluie battante, elles font la connaissance d’un concierge pas

très bavard et d’un commercial pas très honnête. Après la visite de l’appartement, Yoshimi décide de s’installer dans cet immeuble pourtant lugubre et humide. Très vite, ce nouveau lieu va devenir une sorte de prison prise d’assaut par les eaux et hantée par le fantôme d’une fillette abandonnée jadis par sa mère et habitant le même immeuble. A aucun moment ou presque, le spectateur peut prendre du recul face à l’horreur qui s’installe et perdure avec force tout au long du film.

Les acteurs, peu nombreux, sont parfaits et sont très proches du spectateur qui peut facilement s’identifier aux personnages. L’idée du divorce et de la famille monoparentale alliée à celle de la perte de repères est une idée universelle qui est récurrente dans la société contemporaine. Dans, Dark Water, tous les repères prennent l’eau et cela très vite, implacablement. Seuls les rapports privilégiés mère/fille tentent de subsister mais ils sont eux aussi trop souvent morcelés et rapidement inondés par les innombrables bâtons que les personnages ont dans leurs roues.
Ainsi, la recherche d’emploi et les horaires tardifs empêchent la maman Yoshimi de récupérer Ikuko à l’heure quand l’école prend fin. Yoshimi est hantée par une possible perte ou disparition de sa fillette et encore davantage quand elle découvre qu’une petite fille a disparu il y a deux ans après que sa mère l’ai abandonnée. Cette petite fille s’appelant Mitsuko et dont on a perdu la trace va vite effectuer un come-back qui va noyer le spectateur dans une ambiance à
couper au couteau. L’appartement prends l’eau et devient insalubre, aussi, la fuite est impossible et Hideo Nakata nous plonge dans l’horreur comme il avait su le faire avec Ring.

Il retrouve toute sa grâce et sa justesse de ton. Pas de sang, pas d’effets spéciaux numériques, pas de monstres venus d’ailleurs, pas de cassette vidéo maudite mais un savoir faire inégalé dans l’art de faire peur. L’atmosphère du film est glaciale, les lieus sont gris et déserts, mais où sont passé les autres locataires de l’immeuble ? Très peu de couleurs si ce n’est un petit sac d’enfant rouge qui va devenir très rapidement une source d’angoisse supplémentaire. Nakata joue avec nos sentiments et nos points faibles pour nous jeter, tel un pavé, dans une mare à l’eau douteuse. Les journées de beau temps brillent par leur absence et la pluie et l’humidité gagnent constamment du terrain jusqu’à s’insérer dans les cauchemars et les peurs des différents protagonistes.

Vous ne regardez jamais plus votre baignoire comme avant, après avoir vu Dark Water. Yoshimi ne sait plus où elle en est, ne sait plus ce qu’il faut qu’elle fasse, ne cesse de vouloir rester digne face à sa fille mais se trouve être immergée par les rouages de l’horreur absolue. On retrouve dans ce long métrage tous les ingrédients qui avaient fait le succès de Ring et de ses séquelles mais les nuances sont tout de même nombreuses. On quitte ici le domaine de la
malédiction et de la légende pour un univers plus quotidien. Pourtant, les deux films se ressemblent. Les partis pris de la réalisation, du montage, du récit et de l’escalade vers l’horreur sont les mêmes dans Dark Water que dans Ring.

Les questions qui émergent tout au long de Dark Water trouvent vite des réponses comme c’était aussi le cas de Ring. On retrouve même, parsemées tout au long du film des allusions à Ring, tels des caméras de surveillances qui rappellent la vidéo maudite de Ring tout comme l’attrait persistant de Nakata pour tout ce qui est capillaire. L’ambiance des deux films est aussi très proche et les personnages masculins sont effacés aux profits d’une intrigue plus féministe. Cet effacement de tout ce qui est masculin est aussi un facteur de la réussite de Dark Water. En effet, la seule scène du film qui marque une pause dans l’horreur est celle dans laquelle le pourcentage d’hommes est supérieur à celui des personnages féminins.

L’homme est perçu chez Nakata comme un être rationnel et rassurant. Le récit horrifique n’a donc pas intérêt à développer ce type de personnage c’est pour cela que les personnages principaux de Dark Water sont du sexe féminin. Mais que serait l’ambiance de Dark Water sans les effets sonores et la musique du génial Kenji Kawai ? Il prouve ici encore qu’il est sans doute le plus grand compositeur de musiques de films d’angoisse en activité. Les sons et les bruitages du film sont tellement réussis qu’ils provoquent chez le
spectateur un malaise omniprésent et des frissons constants. Presque toutes les apparitions de Mitsuko, la petite fille abandonée sont accompagnées d’effets sonores traumatisants et venant d’un autre monde.

Dark Water prolonge avec brio la nouvelle vague du cinéma d’horreur asiatique, vague provoquée par Tsukamoto et entretenue depuis par des réalisateurs talentueux comme Hideo Nakata, Takeshi Miike avec Audition et Kyoshi Kurosawa et ses angoissants Cure et Kairo. Avec Dark Water, Nakata va encore plus loin dans l’horreur et livre un film d’un prodigieux impact. Le réalisateur dépeint les dysfonctionnements de la société japonaise dans un récit féministe, à contre courant du machisme à la japonaise, qui pose le doigt sur un des maux de notre époque, à savoir la pénibilité instaurée par un
drame familial tel que le divorce et la difficulté rencontrée par un femme qui ne demande rien d’autre que le sourire de sa fille. Le final du film montre, sans trop en révéler que cet objectif n’est pas facile à atteindre. Dark Water est un film exemplaire, quasi-parfait qui marquera vos mémoires et qui restera comme un des films d’horreurs les plus réussis. Hideo Nakata est le réalisateur le plus apte à diriger un film comme Dark Water, à des années lumières des multiples remakes passées ou futurs au demeurant pathétiques, inutiles et sans substance.

Par Nicolas Loubère

 

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