Depuis maintenant dix bonnes
années, le cinéma asiatique s’exporte et
exporte ses talents. Ce cinéma fortement éclectique
est très à la mode outre atlantique, chaque jour
un remake est mis en chantier, chaque jour un film est pillé
et copié par les rapaces d’Hollywood. Très
peu de films asiatiques sortent dans leur montage original et
dans leur édition intégrale. La faute à
la politique Américaine centrée sur le commerce
et l’argent au détriment de l’œuvre
artistique. Nous allons dans ce dossier revenir sur le parcours
des films asiatiques aux Etats Unis ainsi que celui des expatriés
du Japon, de Chine et d’ Hong Kong.
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Le symbole de cette
expatriation c’est John Woo le réalisateur
de « The Killer » et d’ « A Toute
Epreuve ». Voulant quitter Hong Kong pour des raisons
de vie et de moyens financiers, à la suite de désaccords
multiples avec les producteurs, il décide de partir
en 1992 à la conquête du marché Américain.
Mais dans ce pays où l’argent est le principal
moteur cinématographique, il faut faire ses preuves
même si on a déjà réalisé
quelques chef d’œuvres qui surpassent de loin
les meilleures productions de l’Oncle Sam. C’est
pourquoi trois |
des plus grands réalisateurs qu’Hong Kong
ait connu, à savoir John Woo, Tsui Hark et Ringo
Lam ont du passer par la case Jean Claude Van Damme.
C’est en 1993 que « Chasse à l’homme
» sort sous la direction de John Woo qui livre
un film bâtard et dénué de toute
ampleur dramatique, la faute à la production,
au montage et au scénario beaucoup trop simpliste.
Bien sûr il y a quelques scènes qui valent
le coup mais elles sont rares et le film est plombé
par un manque d’enthousiasme de tout le staff
du film. Le succès est mitigé et John
Woo n’a pas eu l’occasion de prouver tout
l’étendue de son talent artistique. Aux
Etats Unis, c’est souvent le producteur qui dirige
le film et non le réalisateur.
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Les
débuts de Tsui Hark sur le sol Américain
ne sont pas non plus restés dans nos mémoires.
« Double Team » interprété par
Jean Claude Van Damme et Dennis Rodman sort presque en
même temps que le « Volte Face » de
John Woo dont nous reparlerons. Le film est un plantage
monumental tant au niveau filmique que commercial. Tsui
Hark, le Spielberg chinois n’a pas su, à
l’instar de John Woo s’imposer dans les rouages
hypocrites de la machine Hollywoodienne. |
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Mickey Rourke en fin
de carrière y est ridicule et le film s’oublie
aussi vite qu’une chanson de Jennifer. |
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Ringo Lam est le 3ème
réalisateur à s’essayer à la
réalisation d’un film Américain en
présence de l’acteur belge le plus connu
à l’étranger et c'est aussi un fiasco
mais dans de moindres proportions. « Risque Maximum
» n’est pas un mauvais film, les cascades
de Remi Julienne, les quelques scènes d’action
du film et le jeu des acteurs sont acceptables et le film
est une bonne petite série B qui ravira les amateurs
du genre mais très loin du potentiel de Ringo Lam
qui a su montrer un tout autre visage dans ses réalisation
Hong Kongaises. « Risque Maximum » aussi interprété
par le français Jean Hugues Anglade, partiellement
tourné à Nice, au succès honnête
pousse Van Damme à convaincre Ringo Lam de refaire
un film avec lui. Quelques années plus tard, Ringo
Lam se |
laisse convaincre et
signe « Replicant » un thriller nerveux, ultra
violent et qui divise la critique.
Certains parlent d’une belle réussite, d’autres
sont plus sceptiques, Van Damme n’a jamais été
aussi convainquant et prend d‘énormes risques
en interprétant un personnage n’hésitant
pas à tuer femmes et enfants. Ringo Lam plus en
forme ne retrouve pourtant pas le réalisme viscéral
d’un « City on Fire » ou d’un
« Full Allert » deux de ses meilleurs films. |
Après les déboires
qu’il a pu rencontrer sur le tournage de «
Chasse à l’homme », John Woo accepte
la direction de « Broken Arrow » avec dans
les rôles titres : Christian Slater et John Travolta.
Les relations entretenues par Woo et ses producteurs sont
encore plus mauvaises que lors de « Chasse à
l’Homme » et le film en pâtit fortement.
Le film accumule les explosions et les scènes d’action
plutôt maîtrisées mais ne parvient
pas à convertir les fans de John Woo qui voient
en ce |
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film un nouveau ratage
de l’expérience wooienne à Hollywood.
Le box office accueille ce nouveau long métrage
avec enthousiasme et on devine déjà une
potentielle amélioration des conditions de tournage
des prochains essais à venir du maître de
Hong Kong. |
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En 1998 John Woo réalise
« Volte Face » et c’est un retour en
grâce du réalisateur qui impose son style
et ses thèmes. Le duo Nicolas Cage/John Travolta
fonctionne à merveille et le film est une réussite
formelle et narrative sans réels défauts.
John Woo a su marier son paradigme avec les codes du blockbuster
américain. Sans égaler un film comme «
The Killer », il montre que son expatriation peut
accoucher de chef d’œuvres cinématographiques
et que le moule Américain n’est pas un frein
à la créativité qui le caractérisait.
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John Woo s’impose
alors comme le meilleur « action film maker »
du marché. |
Les réalisateurs
chinois s’exportent eux aussi et on peut citer Wayne
Wang qui adopte très vite les codes américains
en perdant une partie de son identification culturelle.
« Le centre du Monde » réalisé
en DV est un film réussi qui aurait aussi bien
pu être réalisé par un américain
ou un européen. Ou encore Ang Lee qui semblait
aussi avoir vendu son âme au diable avec notamment
« The Ice Storm » s’est depuis racheté
en signant le magnifique « Tigre et Dragon »
qui s’impose comme |
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le film asiatique le plus internationalisé
de tous les temps. |
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Le cinéma asiatique
est constamment pillé par l’industrie hollywoodienne.
Dans « Matrix » des frères Wachowsky,
on retrouve énormément d’idées
déjà développées dans des
chef d’œuvres japonais tels « Ghost in
The Shell » ou « Patlabor » ou encore
Hong kongais comme « Black Mask » produit
par Tsui Hark et c’est pas prêt de s’arranger
avec les suites de « Matrix » prévues
pour cette année dans les salles. Bien sûr
les Frères Wachowsky se sont alloués les
services du Chorégraphe de Hong Kong Yuen Woo Ping,
ce qui les dédouane un peu. |
Mais on a l’impression
que le cinéma américain se sert du cinéma
asiatique plus qu’il ne le sert. De ce fait la plupart
des films à succès du Japon notamment deviennent
des remake américains plus ou moins ratés
qui desservent complètement les œuvres originales.
Quand les films asiatiques ne sont pas adaptés
en remake, ils sont remontés et censurés
lamentablement. On se souvient tous de l’édition
américaine de « Shaolin Soccer » qui
ne proposait même pas les musiques d’origine.
Hideo |
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Nakata, le réalisateur
de « Ring » et de « Dark Water »
devrait être une star comparable à Shyamalan,
au lieu de ça il est quasiment inconnu du public
américain.
Le pire c’est qu’on a l’impression que
les asiatiques ne sont pas aussi critiques sur leur traitement
que nous autres spectateurs. En effet pour la plupart
d’entre eux, tourner aux Etats Unis représente
un rêve et une ascension professionnelle importante,
c’est un peu leur but ultime. Pourtant leur travail
effectué dans leur pays d’origine est d’un
niveau supérieur à celui exercé sur
le sol américain. C’est aussi ça l’impérialisme
des studios d’Hollywood. Il ne faut pas voir dans
la pluie d’oscars tombée sur « Tigre
et Dragon » un réel changement de mentalité
mais plutôt un simple retour des choses. |
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La réussite
de « Volte Face » et le renouveau de John
Woo poussent l’acteur producteur Tom Cruise à
demander à John Woo de mettre en scène le
second volet des aventures de Ethan Hunt : Mission impossible
2. Si le résultat est plutôt bon, certaines
scènes étant tout simplement jouissives,
on a comme l’impression que John Woo revient en
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arrière après
l’étape « Volte Face ».
Mission impossible 2 est un film aux enjeux commerciaux
tels que John Woo est obligé de fournir un travail
en accord avec les vœux de la production. On reconnaît
pourtant bien le style de John Woo mais c'est plus une
parodie de ses thèmes fétiches qu’une
évolution de son cinéma. C’est dommage
car le film, scénaristiquement plat, ne renoue
pas avec ce qui faisait la force de son cinéma
avec l’absence d’une trame dramatique forte.
Le constat est cruel : John Woo n’est pas encore
débarrassé des poids qui le cantonnent à
une réalisation impersonnelle dictée par
des histoires de gros sous. |
Parallèlement
aux essais cinématographiques des réalisateurs
expatriés, un grand nombre d’acteurs et d’actrices
se laissent eux aussi tentés par l’expérience
américaine. C’est le cas de Jackie Chan,
Jet Li et Michelle Yeoh. Jackie Chan a très rapidement
imposé son style au marché sous la direction
de son complice Stanley Tong. Le producteur Terence Chang,
derrière toutes les tentatives de John Woo, est
aussi là pour les premiers pas de Jackie Chan à
l’étranger en |
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produisant «
Contre Attaque » et « Jackie Chan dans le
Bronx » mais l’acteur se contente juste de
faire pareil que ce qu’il faisait à Hong
Kong.
Suivirent les séries « Rush Hour »
et « Shangai Kid » qui ne lui rendent pas
hommage. Ces films le présentent un peu comme une
bête curieuse vecteur d’une culture dépassée
et presque primitive. On est très loin de la beauté
d’un film comme « Drunken Master 2 »
réalisé par Liu Chia Liang qui reste le
meilleur film de l’acteur à ce jour. On comprend
mal ce que recherche Jackie Chan à Hollywood car
il fait exactement le même type de cinéma
qu’en Asie. Il est juste bien mieux payé
! Jet Li suit exactement la même destinée
que Chan et Chow Yun Fat a vraiment du mal à percer
même avec le succès de « Tigre et Dragon
». |
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Alors,
sur le papier, les Etats Unis semblent très ouverts
aux cinéma asiatique mais ce n’est qu’un
leurre, ils sont plus intéressés par le
fric que ça peut leur rapporter. Le succès
rencontré par les chorégraphies de Yuen
Woo Ping dans « Matrix » ont relancé
l’attrait du public Américain pour les arts
martiaux, c’est pourquoi les producteurs s’entourent
de plus en plus d’artistes martiaux asiatiques.
C’est peut être ces techniciens qui arrivent
le mieux à imposer leurs styles, en tout cas mieux
que les réalisateurs qui sont englués dans
la narration imposée par la production.
Yuen Woo Ping, Corey Yuen, Ching Siu Tung, Sammo Hung
et Donnie Yen ont donc tout à gagner sur le territoire
américain car ils jouissent d’une bonne marge
de manœuvre et d’un progrès technique
toujours en essor. Même si on peut préférer
les chorégraphies de |
Yuen Woo Ping sur le film « Fist of
Legend » à celles exécutées sur
« Matrix », on peut affirmer que jamais le chorégraphe
n’aurait pu les mettre en scène à Hong
Kong. |
Tsui Hark, toujours
à la recherche d’une reconnaissance américaine
de son travail tente une nouvelle fois sa chance avec
Van Damme en dirigant « Piège à Hong
Kong » Le réalisateur comme l’acteur
principal du film s’auto-parodient et le film qui
est une bonne comédie d’action scelle la
fin de l’aventure Tsui Hark aux Etats-Unis. De retour
à Hong Kong, le metteur en scène signe «
Time and Tide » une réussite magistrale,
un chef d’œuvre qui prouve que le maître
est plus à l’aise dans ses chaussons locaux.
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Jamais Tsui Hark n’a pu faire ce qu’il
voulait outre Atlantique, même pas lui qui est pourtant
le producteur le plus féroce et exigent du cinéma
Hong Kongais. |
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Dans ce constat qui
est plutôt un constat d’échec pour
le cinéma asiatique qui ne parvient pas à
s’imposer avec ses propres armes sur le marché
Hollywoodien, il ne reste plus que l’irréductible
John Woo qui devient le metteur en scène du film
de guerre « Windtalkers » sorti sur nos écrans
en 2002 et qui a débarqué en DVD au mois
de Mars 2003
Beaucoup de personnes se sont insurgées en voyant
le dernier film de John Woo. Les critiques ont insisté
sur le fait que c’était un film à
la gloire des soldats américains et qu’il
ferait un bon film de |
propagande pour le
président Bush. Les critiques disent aussi que
« Windtalkers » marque la fin du réalisateur
Woo qui perd tout le style qui le caractérisait.
Il faut bien dire ce qu’il en est, elles n’ont
rien compris au film. « Windtalkers » est
un grand film de guerre à la fois spectaculaire
et contre la guerre. Je mets au défit quiconque
qui voudra s’engager dans l’armée après
avoir vu ce film. John Woo ne se caricature plus comme
il avait pu le faire sur « Broken Arrow »
ou « Mission Impossible 2 ». Fini les colombes
ou les pigeons qui s’envolent au ralentit en pleine
fusillades, fini les innombrables effets de style qui
étaient devenus sa signature. Pourtant c’est
bien un film de John Woo, un film que seul John Woo pouvait
réaliser tant son cinéma est présent
à l’écran. Le cinéaste a su
faire évoluer son style pour l’adapter au
marché américain sans pour autant se fondre
dans le moule. On retrouve toute la puissance dramatique
qui était présente dans ses films de Hong
Kong et la mise en scène est un exercice de style
à elle toute seule prouve que Woo n’a rien
perdu de sa superbe. Oui, John Woo est sur la bonne voie. |
Les acteurs asiatiques
engagés sur le marché du film américain
sont prisonniers d’un système qui ne leur
rend pas hommage. La réussite d’un Jet Li
par exemple serait qu’il puisse jouer des rôles
qu’il n’avait pas pu jouer en Asie. C’est
loin d’être le cas, car il se complaît
à se produire dans des série B pas convaincantes.
On pensera notamment à « The One »
ou « Romeo Must Die ». Son retour en Asie,
au générique du dernier Zhang Ymou «
Hero » est un nouvel argument qui étoffe
encore un peu plus cette thèse. |
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Jet Li, Jackie Chan
et Chow Yun Fat ne sont pas maîtres de leur carrière
sur le sol américain car ils n’y sont pas
libres. Ne pensons pas que le cinéma européen
traite mieux les acteurs asiatiques car les productions
made in Besson fonctionnent comme Hollywood et ne permettent
pas aux artistes de développer leur jeu et de repousser
leurs limites. C’est le cas de Jet Li dans le pas
trop mal réussi « Le Baiser du Dragon »
et de Shu Qi dans le bourrin « Transporteur ».
Mais Luc Besson peut se défendre en disant que
le cinéma asiatique n’a cessé de plagier
Leon et Nikita ce qui est vrai. |
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Les thèmes de
prédilection du cinéma Japonais et surtout
Hong Kongais se retrouvent aussi dans les films de Christophe
Gans mais c’est pas tout à fait un pillage.
En effet, Christophe Gans est avant
tout un spectateur qui veut faire de son cinéma
un cinéma de genre. A la manière d’un
John Carpenter ou d’un Quentin Tarentino, il va
s’efforcer de marier les styles cinématographiques
entre eux pour pouvoir en faire un melting pot culturel
pas dénué de tout intérêt.
« Crying Freeman » et « Le Pacte des
Loups » sont donc un condensé de ce qui se
fait de mieux dans les cinémas adulés par
Gans sans pour autant égaler la plupart des modèles
utilisés. Le «
Kill Bill » de Tarentino sorti récemment
surfe sur le même principe. |
Le cinéma
asiatique est donc en mal de reconnaissance sur la scène
internationale, et ce n'est pas avec les adaptations live de
« Dragon Ball Z » et « Evangelion»,
ni le remake de « Dark water » qu’il va atteindre
cet objectif.
Le futur projet de Stephen Chow semble être mieux parti.
Ce grand projet de film martial s’est vu attribué
une aide de 20 millions de Dollars par Hollywood mais restera
un film asiatique maîtrisé de part en part par
le génial Stephen Chow. Le film devrait donc échapper
au sort réservé à son « Shaolin Soccer
», enfin on l'espère.
Hollywood
veut tout diriger mais le cinéma asiatique n’a
pas dit son dernier mot, on pense d’emblée à
Miyazaki qui s’exporte super bien et à John Woo
qui ne cesse de vouloir évoluer dans le bon sens. Le
cinéma indépendant, dit d’auteur n’a
lui aucun problème à s’imposer et les Kitano,
Imamura ou autres Takeshi Miike ont encore de beaux jours devant
eux. Wait and see.
Par Nicolas Loubère
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