1. 1989-1999
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Kitano réalise
en 1989 « Violent Cop », un polar noir et
ultra violent qui révèle au public japonais
une nouvelle facette de son talent. Takeshi y joue le
rôle d’un flic à la Clint Eastwood.
Il joue les gros bras et s’amuse à faire
régner la loi par la violence extrême et
souvent injustifiée. Beat Takeshi impose d’emblée
un style qui lui est propre. Une mise en scène
épurée, de longs plans fixes, une violence
non aseptisée qui pète à la gueule
telle une grenade qui explose sans crier gare. Le réalisme
de la violence voulu par le cinéaste et complètement
justifiée par le récit qui se veut d’une
noirceur indélébile. Ce film est une épreuve
pour le spectateur et ne présente aucune alternative
à la violence comme si c’était un
passage obligé.
Une scène présente dans
le film démontre que la solution choisie par le
flic incarné par Beat Takeshi pour régler
tous les problèmes est obligatoirement la |
violence .Après
une course poursuite qui n’en finit plus, pendant
laquelle le flic ne renonce jamais à rattraper
les fugitifs l’action se termine par un coup de
batte de base-ball d’une violence sidérante
qui cloue littéralement le spectateur dans son
siège. Pour retrouver un tel degré de brutalité
il faut chercher dans les films ou la violence apparaît
au moment ou l’on ne l’attend pas, peut-être
à la manière de « Casino » de
Scorcèse où les apparitions de Joe Pesci
se traduisent toujours par une débauche de violence
insoupçonnée.
« Violent Cop
» est peut être le film qui porte le mieux
son nom, car la nuance n’est pas proposée
par le réalisateur qui veut frapper un grand coup
sur la table et qui y parvient indubitablement tel un
Gaspard Noé jetant son « irréversible
» à la gueule d’un cinéma français
sur la défensive. « Violent Cop » est
le film que Kitano devait faire pour entrer dans le monde
des réalisateurs talentueux , il représente
une étape indispensable à sa filmographie
comme s’il était fait pour amorcer son œuvre
à venir. |
L’image
donnée par Kitano est souvent liée aux personnages
qu’il choisit d’incarner dans ses films. Ainsi
on pourrait résumer Kitano comme étant le
yakusa du cinéma. En effet, la mafia japonaise
tient un rôle important dans presque tous les films
de l’auteur. Son second film « Jugatsu »
aussi connu sous le nom de « Boiling Point »
raconte l’histoire d’un jeune japonais qui
bosse pour un yakusa intolérant et qui va en rencontrer
un autre encore pire. Une fois de plus la violence est
là, toujours atroce, mais on voit émerger
les prémices qui vont faire du cinéma de
Kitano un cinéma fondé sur la dualité
et l’existence d’une alternative au mal même
si ce dernier finit souvent par clore le débat.
« Jugatsu »
se situe dans la lignée de « Violent Cop
» est continue, en quelque sorte l’introduction
au cinéma de Kitano commencée un an plus
tôt. |
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Les deux premiers films du Maître japonais nous
habitue à la définition kitanesque de la
violence et de tout ce qui peut être sombre dans
l’humanité. Notons que Beat Takeshi n’a
pas jugé bon de proposer une musique dans Jugatsu
comme pour rendre le film encore plus noir dans lequel
la domination et la soumission sont omniprésentes.
Les faibles n’ont qu’à pas être
faibles après tout. Ils ne sont là que pour
justifier le pouvoir des plus forts, voilà ce que
dit le film. |
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Un jeune
homme sourd et muet, éboueur, perdu dans ses pensées,
accompagné très souvent de sa petite amie,
trouve une planche de surf cassée en deux dans
une poubelle, décide de la ramasser, de la réparer
et d’apprendre à surfer. C’est ainsi
que débute le troisième film de Kitano qui
change de registre et propose un film émouvant
à la lenteur reposante, à la beauté
toute simple. « A scène at the sea »
est un film poétique très loin de l’univers
de « Violent Cop » et de « Jugatsu »
et qui introduit le spectateur dans l’autre clivage
de l’œuvre de Kitano à savoir la poésie.
C’est le seul film du cinéaste où
il n’y a pas de yakusa, ni de flics véreux,
c’est aussi l’un des plus beaux films de sa
filmographie.
Kitano, réalisateur peaufine son
style et multiplie les plans fixes, parfois sa caméra
continue à filmer alors que les personnages ont
disparu. Le film est en fait une |
peinture vivante dans
laquelle la mer qui fascine le cinéaste depuis
« Violent Cop » y tient le rôle principal.
Les acteurs sont touchants, bercés par la superbe
musique de Joe Hisaichi qui fait une entrée toute
en finesse dans la galaxie Kitano. La mer est le seul
endroit de paix pour les personnages du cinéma
de Beat Takeshi, on la retrouvera dans ces futurs films
« Sonatine » « Hana Bi » et «
l’Eté de Kikujiro ». L’humour
est là, le romantisme aussi et on se prend à
rêver d’un film qui mêlerait la fulgurence
de la violence de « Violent Cop » avec la
poésie de « A scène at the sea » |
La filmographie de Kitano n’est pas un hasard,
tout est calculé, pensé et étudié.
Ses trois premiers films achevés, introduisant
le spectateur dans l’univers du cinéaste
portent en eux les ingrédients de son quatrième
et premier vrai chef d’œuvre, à savoir
le génial « Sonatine ». Les yakusas
sont de retour et la guerre des gangs fait rage. Les
divers clans se tapent dessus et se tiraillent à
coup d’attentats plus meurtriers les uns que les
autres. Au milieu de ce carnage, un yakusa et sa bande
vont se faire oublier sur la plage, là ou la
mer protectrice est la plus proche. Les vagues rassurantes,
le soleil rivalisant avec la pluie, une femme tombée
là comme par enchantement vont transformer nos
yakusas en véritables gamins.
Ces derniers vont s’adonner à des jeux
tous hilarants, oubliant leur statut de gangster. Ces
scènes présentent un humour idiot mais
tellement jouissif que
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l’on se surprend
à éclater de rire dans un film qui avait
débuté dans un déluge de violence.
C’est cette faculté qu’a Kitano de
nous surprendre continuellement qui fait toute l’originalité
de son cinéma. « Sonatine » est le
rêve que tous les mordus de cinéma font toutes
les nuits, un film surréaliste qui ne déçoit
jamais et qui surprend toujours. La musique est formidable
et prouve une nouvelle fois que Joe Hisaishi et Kitano
sont faits pour s’entendre même si leurs relations
de travail sont parfois délicates.
« Sonatine » n’est
pas un film comique, son final où la violence retrouve
sa place prouve que la solution est toujours ancrée
dans la violence car elle renaît inexorablement
de ses cendres. |
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La
comédie est aussi un genre que Kitano apprécie
mais on oubliera son cinquième film « Getting
any » qui est un peu à part et qui ressemble
davantage à Kitano homme de télé
qu’à Takeshi Kitano réalisateur génial
et éclairé. Le cinéaste japonais
poursuit sa brillante carrière en signant «
Kids Return » l’histoire de deux adolescents
en échec scolaire qui vont se détourner
des études pour suivre la voie du sport, à
savoir la boxe ou encore celle de la délinquance
en rejoignant des yakusas toujours aussi détestables
avec les nouvelles recrues.
Ce film dans lequel Kitano n’apparaît
pas est une vision très juste du monde adolescent,
surpassant bien d’autres tentatives de réalisateurs
qui s’intéressent plus au sexe qu’à
autre chose. L’humour est toujours de mise, un peu
à la manière de « Sonatine »
et le film s’avère être une nouvelle
réussite de Kitano qui se |
révèle
avoir un don dans le choix de ses acteurs qui sont toujours
très bien choisis et dirigés. Notons que
« Kids Return » est un peu autobiographique
et que le cinéaste ne cache pas ses débuts
de vie difficiles, c’est aussi une raison qui le
pousse à signer des films désenchantés. |
Le jury du festival de Venise de 1997 ne pouvait pas
faire autrement que de décerner le lion d’or
à Kitano pour son plus grand film, à savoir
« Hana Bi ». Beat Takeshi incarne un flic
qui voit sa femme être atteinte d’une maladie
incurable et son meilleur ami handicapé par un
fusillade qui a mal tournée. Il va tout lâcher
pour se consacrer à sa femme et à son
ami qu’il encourage à peindre. Le film
est parsemé de peintures surréalistes
toutes exécutées par Kitano himself et
qui sont très réussies. Pour offrir les
meilleurs derniers jours possibles à sa femme,
Nishi va reculer devant rien, allant jusqu’à
dévaliser une banque, traiter avec les yakusas
ou encore tuer tous ceux qui se mettrons sur sa route.
Il va ainsi pouvoir offrir à sa femme une épopée
en amoureux riche en péripéties diverses.
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L’extrême
violence va côtoyer le rire et l’émotion
sera constamment au rendez-vous. Le silence va se mêler
au bruit des détonations et des vagues venant mourir
sur la plage, ultime lieu de calme et de vie. «
Hana-Bi » est l’aboutissement d’un style
qui y trouve ses lettres de noblesse. Si Takeshi Kitani
maîtrise la mise en scène et la comédie,
c’est aussi un excellent conteur de récit.
C’est pourquoi il nous propose un montage très
intéressant qui par des flashbacks rapides et rendant
compte d’une violence débridée éclairent
le récit qui gagne en dynamisme et interpelle le
spectateur qui veut en savoir plus.
Hana-Bi est une œuvre profondément touchante
et humaine qui ne laissera personne de marbre et les larmes
risquent de couler tant le récit est déchirant.
Le trio d’acteurs qui porte le film, composé
de Beat Takeshi, Kayoko Kishimoto et Ren Osugi est étonnant
de sincérité et d’humilité,
encore un point très positif pour ce film qui restera
un des fleurons du cinéma mondial. |
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En 1998,
Kitano réussit un nouveau film intitulé
« l’été de Kikujiro »
pourtant boudé injustement par le jury de Cannes.
Masao est un gamin de Tokyo qui vit avec sa grand-mère
et qui décide de partir retrouver sa mère
pendant les vacances. Le gamin va faire équipe
avec un petit yakusa de pacotille interprété
par Beat Takeshi. Au début rien ne les rapproche
et pourtant au cours de leur voyage, ils vont apprendre
à se connaître, vont faire des rencontres
imprévues, parfois hilarantes, ils vont aussi faire
beaucoup de bêtises et les situations seront souvent
originales.
Ce film est un hymne à la vie
et à l’espoir. Les personnages rencontrés
sur la route par nos deux aventuriers sont pour la plus
part à mourir de rire ! Mention spéciale
à des motards qui ne savent pas quoi |
faire de leur temps
libre et qui vont se lier d’amitié avec Masao
et son compagnon. Les gags rappellent ceux de «
Sonatine » mais ne sentent en aucun cas le réchauffé.
Le film est construit dans le plus pur style des autres
productions du cinéaste et c’est un nouveau
succès. |
En 1999, sort sur les écrans le 9ème
film de Kitano, « Aniki, mon frère ».
Pour la première fois de sa carrière,
le cinéaste japonais va déserter le Japon
pour les Etats-Unis. Mais Kitano reste Kitano et on
assiste à un film qui se situe dans le sillage
de ses précédents polars où le
côté obscur est très développé.
Un yakusa part en exil à Los Angeles car son
gang à été anéanti, afin
de retrouver son frère. Là bas il va vite
prendre les choses en main et va organiser une nouvelle
guerre des gangs. La violence fait de nouveau rage dans
le cinéma de Beat Takeshi, une violence implacable
et viscérale qui n’est jamais complaisante.
Toutes les races sont représentées et
combattent côte à côte.
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Kitano prouve qu’il est
à l’aise n’importe où et continue
à faire ce qu’il sait faire. Les acteurs qu’ils
soient asiatiques, hispaniques ou afro-américains se
marient tous au style de Kitano. Ce bonhomme est très
doué, il se joue des difficultés et trace sa route
sans se retourner tel un yakusa qui veut continuer à
vivre. « Sonatine », « Jugatsu », «
Kids Return » et « Violent Cop » sont édités
en DVD chez Studio Canal, « Hana-Bi » est dispo
chez Arté DVD tandis que « L’Eté de
Kikujiro » et «Aniki, mon frère » sont
distribués par TF1. « A scène at the sea
» n’est toujours pas dispo en DVD mais la cassette
vidéo conçue par HK vidéo est d’excellente
facture. Ajoutons que le film « Battle Royale »
réalisé par le vétéran Kinji Fukasaku
et interprété par Beat Takeshi est sortit chez
M6 DVD.
La
suite : Dolls (2002)
Par Nicolas Loubère
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