Asian Connection, l'émission sur les cultures asiatiques - Radio Campus 88.1 - Mardi 19h/20h


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Takeshi Kitano


2. Dolls (2002)

Contre toute attente, ce nouveau film de Kitano, « Dolls » est reparti bredouille du festival de Venise 2002. Que s’est-il passé pour que le jury ne distingue pas Kitano au palmarès ? La réponse est simple, le film divise. Il y a les pour et les contres, sans oublier les indécis. « Dolls » est un film controversé, beaucoup plus que ne l’avaient été ses grands frères. Tout le monde s’accordait à dire que « Hana bi » était un chef d’œuvre, point à la ligne. Après un résumé de l’histoire ou plutôt des histoires du film « Dolls », nous essayeront de comprendre pourquoi la controverse touche ce film qu’on attendait depuis maintenant presque un an. Avant d’ouvrir le débat, ajoutons, que Takeshi Kitano n’est pas présent en tant qu’acteur dans « Dolls ». On retrouve au générique : Hidetoshi Nishijima, Miho Kanno, Tatsuya Mihashi, Chieko Matsubara et Kyoko Fukada. La musique est signée, comme d’habitude par Joe Hisaishi.

 

Matsumoto et Sawako s’aiment, pourtant leur mariage n’est plus à l’ordre du jour car les parents du jeune homme veulent arranger le mariage de leur fils avec une riche héritière. Le jour du mariage, Matsumoto apprend que la pauvre Sawako qui se sentait alors rejetée et délaissée a tenté de mettre fin à ses jours. Le suicide à échoué mais la jeune fille a perdu la raison. Apprenant ce fait tragique, Matsumoto se rend directement à l’hôpital laissant son mariage derrière lui. Sur les lieux, il enlève Sawako et l’emmène avec lui dans sa Nissan Primera jaune. Tous les deux, ils vont errer des jours et des jours avec l'espoir que Sawako retrouve toute sa tête. Matsumoto n’hésite pas à quitter son travail, à rompre le lien familial et à repartir à zéro, avec une Sawako meurtrie et enfermée dans le silence.

 

La deuxième histoire est celle d’un vieux Yakusa à la recherche de son passé et de ses souvenirs. D’années en années, Hiro est devenu plus gentil, à l’écoute des autres qui ont eux aussi des problèmes. Alors qu’il discute avec son garde du corps qui vient de rompre avec son amie, il se laisse aller à se souvenir de quand il était jeune travailleur à l’usine, du tant où il était encore pur et plein d’enthousiasme. A cette époque, il dût annoncer à sa copine, qu’il retrouvait toutes les
semaines dans un parc, qu’il allait quitter l’usine et partir faire carrière seul. Cette rupture plongea la jeune fille dans un flot de larmes et le garçon s’en allât sans se retourner. La fille lui promit qu’elle l’attendrait tous les samedis avec son repas, au parc jusqu’au jour de leurs retrouvailles. 30 ans plus tard, ce souvenir resurgit dans la mémoire du vieux yakusa qui décide de se rendre au parc, un samedi. Là, la fille l’attend toujours.

 

Kitano introduit une troisième histoire, celle d’une idole de la pop japonaise qui multiplie les concerts à succès et passionne le japon. Nukui est un fan de la première heure qui ne vit que pour sa chanteuse préférée qui se prénomme Haruna. De concerts en concerts, il la suit, à la recherche d’un sourire ou d’un geste. Un jour, l’impensable arrive, Haruna est victime d’un accident de la route, elle est défigurée et un éventuel come back est impossible. Elle refuse toutes les visites de ses fans de la grande époque, elle ne souhaite pas
leur renvoyer une image négative d’elle même. Pourtant, Nukui va réussir à trouver le moyen extrême pour rencontrer son idole. Son fanatisme n’a alors plus de limites. A travers ces trois histoires mettant en scène des personnages meurtris, Takeshi Kitano signe son premier mélodrame. Il laisse la dualité humour/violence au placard et fournit un film d’une poétique noirceur.

 

On a pu lire dans la presse que le film constituait un bouleversement dans le cinéma de Kitano, en fait c’est plutôt une transposition de ses thèmes et de sa manière de filmer dans un genre de cinéma qu’il n’avait pas encore exploré. On retrouve à peu près tout ce qui fait de Kitano, ce qu’il est. La mise en scène par exemple est dans le plus pur style de ce qu’il faisait dans ses précédents films. On pense notamment à ses plans fixes dans lesquels les personnages sont face aux spectateurs, immobiles, inexpressifs. On retrouve aussi les plans qui attendent le passage des personnages et qui subsistent même après leur disparition. Le silence est omniprésent, un peu à la manière de « A scene at the sea » et la musique fait corps avec le visuel même si les compositions de Joe Hisaichi sont moins inspirées que pour les précédents « Hana Bi » ou « l’été de Kikujiro ».

Kitano introduit son long métrage par un hommage au théâtre Bunkaru, théâtre mettant en scène des

poupées traditionnelles d’où le titre du film. Ces marionnettes sont plus expressives par leurs mouvement que par leurs visages qui sont tous identiques et fermés. Ce prélude est formidablement bien choisi car il pose tous les thèmes et les bases du film. Dès le début, le spectateur connaît les personnages qui vont évoluer par la suite, dès le début il sait qu’on va parler de souffrance. Le film est d’une beauté vraiment hallucinante. C’est sûrement le plus beau film du cinéaste. Les décors sont à couper le souffle et on se surprend à vouloir partir au Japon dans la minute. Les personnages Matsumoto et Sawako évoluent attachés l’un à l’autre par une corde rouge et traversent toutes les saisons. On passe des cerisiers en fleurs à des feuilles automnales d’un rouge écarlate, sans oublier les paysages enneigés propres au Japon.

 

Dolls s’apprête à devenir votre plus beau DVD. On guettera sa sortie future avec intérêt. Même si la violence n’est pas symbolisée par des fusillades comme dans « Hana Bi » ou « Violent cop » (sauf dans un rapide flashback concernant le vieux yakusa Hiro) elle est omniprésente et parfois insoutenable. Les personnages à la recherche de vrais sentiments ou de souvenirs évanouis parviennent avec difficulté à les partager. La violence du film est aveugle et elle touche les
personnages d’une manière sidérante, implacable. Le spectateur souffre en même temps que les personnages. Les moments de bonheur sont infimes. Le film est parsemé de nombreux passages qui font écho aux autres films de Kitano. Outre le flashback du yakusa qui rappelle « Sonatine », on a aussi le personnage seul ou accompagné face à la mer qui symbolise un éventuel mais impossible échappatoire.

 

En effet, Haruna la chanteuse déchue regarde la mer inlassablement, tout comme le couple Matsumoto Sawako avant le drame dans une scène qui évoque « A scène at the Sea ». Le film est aussi traversé par des personnages loufoques mais en moins grand nombre que dans « l’été de Kikujiro ». On pense ici surtout à l’handicapé qui vocifère. En plus de la forme léchée à l’extrême qui font de Kitano un formaliste né doté d’un talent sans égal, on peut tout autant encenser le montage merveilleux du film. On passe du passé au présent, du présent au futur et du futur au passé parfois dans la même minute sans jamais perdre le fil. Kitano avait déjà travaillé de la sorte
sur « Hana bi » mais dans Dolls c’est encore plus poussé et réussi. Le choix des trois histoires est aussi très étudié et parfaitement compréhensible. Dans « Chungking express » de Wong Kar Wai les deux histoires étaient successives sans réel lien entre elle, ici elles se chevauchent, se pénètrent et sont traitées simultanément car elles véhiculent les mêmes thèmes et les mêmes sentiments.

 

Vous l’aurez compris, Kitano narre ses trois histoires avec brio même si celle de Matsumoto et Sawako constitue le fil directeur du film. Ce qui choque dans les rapports entre les personnages c’est la place omniprésente des non dits qu’on qualifiera de très japonais. Les personnages n’ont pas l’air de vivre ensemble ou de partager quelque chose même si au fond d’eux même leurs sentiment sont bien réels. Kitano joue avec ce constat pour asseoir son mélodrame et nous extorquer quelques larmes ou frissons.
Mais il y a un mais, un mais qui justifie le statut de film controversé. On a souvent l’impression que le film fait du sur place et que la forme parfaite fait de l’ombre au fond qui est un peu léger. Les plans passent parfois du beau au contemplatif car trop répétitifs. Bien sûr, le film nous porte et les personnages sont convainquants mais quand on repense à « Hana Bi » par exemple, on reste un peu sur notre faim.

 

Il manque un peu de vie à ce film, un peu d’humour et d’alternance. Kitano mattraque un peu le spectateur pour lui imposer un drame sans contrepartie. Même quand la joie fait un petit come back, elle est de courte durée comme si Kitano ne permettait pas à ses personnages d’être heureux. Pour lui ils doivent se contenter du minimum, c’est à dire d’un sourire, d’un court dialogue mais le spectateur, lui attend un peu plus. Il faut bien sur respecter la vision de Kitano mais on ne peut s’empêcher de penser que certain choix qui on été faits présentaient des alternatives tout aussi valables, mais on va pas refaire le film. Au final Dolls est un bon film qui doit sa réussite avant tout à son visuel puis à ses thèmes poétiques et simples qui toucheront le spectateur. Mais pourquoi le drame est aussi présent et implacable, pourquoi la nuance n’est elle pas abordée, pourquoi la dualité de Kitano n’est pas présente dans ce film comme dans les autres ? C’est toutes ces questions en suspend qui font de ce film une expérience à part et qui font de Takeshi Kitano un cinéaste culte et original. Ce dernier sait se renouveler sans perdre de vue son univers impénétrable.

La suite : Zatoichi (2003)

Par Nicolas Loubère

 

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