2. Dolls (2002)
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Contre toute attente,
ce nouveau film de Kitano, « Dolls » est reparti
bredouille du festival de Venise 2002. Que s’est-il
passé pour que le jury ne distingue pas Kitano
au palmarès ? La réponse est simple, le
film divise. Il y a les pour et les contres, sans oublier
les indécis. « Dolls » est un film
controversé, beaucoup plus que ne l’avaient
été ses grands frères. Tout le monde
s’accordait à dire que « Hana bi »
était un chef d’œuvre, point à
la ligne. Après un résumé de l’histoire
ou plutôt des histoires du film « Dolls »,
nous essayeront de comprendre pourquoi la controverse
touche ce film qu’on attendait depuis maintenant
presque un an. Avant d’ouvrir le débat, ajoutons,
que Takeshi Kitano n’est pas présent en tant
qu’acteur dans « Dolls ». On retrouve
au générique : Hidetoshi Nishijima, Miho
Kanno, Tatsuya Mihashi, Chieko Matsubara et Kyoko Fukada.
La musique est signée, comme d’habitude par
Joe Hisaishi. |
Matsumoto et Sawako s’aiment,
pourtant leur mariage n’est plus à l’ordre
du jour car les parents du jeune homme veulent arranger le mariage
de leur fils avec une riche héritière. Le jour
du mariage, Matsumoto apprend que la pauvre Sawako qui se sentait
alors rejetée et délaissée a tenté
de mettre fin à ses jours. Le suicide à échoué
mais la jeune fille a perdu la raison. Apprenant ce fait tragique,
Matsumoto se rend directement à l’hôpital
laissant son mariage derrière lui. Sur les lieux, il
enlève Sawako et l’emmène avec lui dans
sa Nissan Primera jaune. Tous les deux, ils vont errer des jours
et des jours avec l'espoir que Sawako retrouve toute sa tête.
Matsumoto n’hésite pas à quitter son travail,
à rompre le lien familial et à repartir à
zéro, avec une Sawako meurtrie et enfermée dans
le silence.
La
deuxième histoire est celle d’un vieux Yakusa
à la recherche de son passé et de ses souvenirs.
D’années en années, Hiro est devenu
plus gentil, à l’écoute des autres
qui ont eux aussi des problèmes. Alors qu’il
discute avec son garde du corps qui vient de rompre avec
son amie, il se laisse aller à se souvenir de quand
il était jeune travailleur à l’usine,
du tant où il était encore pur et plein
d’enthousiasme. A cette époque, il dût
annoncer à sa copine, qu’il retrouvait toutes
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semaines dans un parc,
qu’il allait quitter l’usine et partir faire
carrière seul. Cette rupture plongea la jeune fille
dans un flot de larmes et le garçon s’en
allât sans se retourner. La fille lui promit qu’elle
l’attendrait tous les samedis avec son repas, au
parc jusqu’au jour de leurs retrouvailles. 30 ans
plus tard, ce souvenir resurgit dans la mémoire
du vieux yakusa qui décide de se rendre au parc,
un samedi. Là, la fille l’attend toujours. |
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Kitano introduit une
troisième histoire, celle d’une idole de
la pop japonaise qui multiplie les concerts à succès
et passionne le japon. Nukui est un fan de la première
heure qui ne vit que pour sa chanteuse préférée
qui se prénomme Haruna. De concerts en concerts,
il la suit, à la recherche d’un sourire ou
d’un geste. Un jour, l’impensable arrive,
Haruna est victime d’un accident de la route, elle
est défigurée et un éventuel come
back est impossible. Elle refuse toutes
les visites de ses fans de la grande époque, elle
ne souhaite pas |
leur renvoyer une image négative d’elle même.
Pourtant, Nukui va réussir à trouver le
moyen extrême pour rencontrer son idole. Son fanatisme
n’a alors plus de limites. A travers ces trois histoires
mettant en scène des personnages meurtris, Takeshi
Kitano signe son premier mélodrame. Il laisse la
dualité humour/violence au placard et fournit un
film d’une poétique noirceur. |
On a pu lire dans la presse que le film constituait
un bouleversement dans le cinéma de Kitano, en
fait c’est plutôt une transposition de ses
thèmes et de sa manière de filmer dans
un genre de cinéma qu’il n’avait
pas encore exploré. On retrouve à peu
près tout ce qui fait de Kitano, ce qu’il
est. La mise en scène par exemple est dans le
plus pur style de ce qu’il faisait dans ses précédents
films. On pense notamment à ses plans fixes dans
lesquels les personnages sont face aux spectateurs,
immobiles, inexpressifs. On retrouve aussi les plans
qui attendent le passage des personnages et qui subsistent
même après leur disparition. Le silence
est omniprésent, un peu à la manière
de « A scene at the sea » et la musique
fait corps avec le visuel même si les compositions
de Joe Hisaichi sont moins inspirées que pour
les précédents « Hana Bi »
ou « l’été de Kikujiro ».
Kitano introduit son long métrage par un hommage
au théâtre Bunkaru, théâtre
mettant en scène des
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poupées traditionnelles
d’où le titre du film. Ces marionnettes sont
plus expressives par leurs mouvement que par leurs visages
qui sont tous identiques et fermés. Ce prélude
est formidablement bien choisi car il pose tous les thèmes
et les bases du film. Dès le début, le spectateur
connaît les personnages qui vont évoluer
par la suite, dès le début il sait qu’on
va parler de souffrance. Le film est d’une beauté
vraiment hallucinante. C’est sûrement le plus
beau film du cinéaste. Les décors sont à
couper le souffle et on se surprend à vouloir partir
au Japon dans la minute. Les personnages Matsumoto et
Sawako évoluent attachés l’un à
l’autre par une corde rouge et traversent toutes
les saisons. On passe des cerisiers en fleurs à
des feuilles automnales d’un rouge écarlate,
sans oublier les paysages enneigés propres au Japon. |
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Dolls
s’apprête à devenir votre plus beau
DVD. On guettera sa sortie future avec intérêt.
Même si la violence n’est pas symbolisée
par des fusillades comme dans « Hana Bi »
ou « Violent cop » (sauf dans un rapide flashback
concernant le vieux yakusa Hiro) elle est omniprésente
et parfois insoutenable. Les personnages à la recherche
de vrais sentiments ou de souvenirs évanouis parviennent
avec difficulté à les partager. La violence
du film est aveugle et elle touche les |
personnages d’une
manière sidérante, implacable. Le spectateur
souffre en même temps que les personnages. Les moments
de bonheur sont infimes. Le film est parsemé de
nombreux passages qui font écho aux autres films
de Kitano. Outre le flashback du yakusa qui rappelle «
Sonatine », on a aussi le personnage seul ou accompagné
face à la mer qui symbolise un éventuel
mais impossible échappatoire. |
En
effet, Haruna la chanteuse déchue regarde la mer
inlassablement, tout comme le couple Matsumoto Sawako
avant le drame dans une scène qui évoque
« A scène at the Sea ». Le film est
aussi traversé par des personnages loufoques mais
en moins grand nombre que dans « l’été
de Kikujiro ». On pense ici surtout à l’handicapé
qui vocifère. En plus de la forme léchée
à l’extrême qui font de Kitano un formaliste
né doté d’un talent sans égal,
on peut tout autant encenser le montage merveilleux du
film. On passe du passé au présent, du présent
au futur et du futur au passé parfois dans la même
minute sans jamais perdre le fil. Kitano avait déjà
travaillé de la sorte |
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sur « Hana bi
» mais dans Dolls c’est encore plus poussé
et réussi. Le choix des trois histoires est aussi
très étudié et parfaitement compréhensible.
Dans « Chungking express » de Wong Kar Wai
les deux histoires étaient successives sans réel
lien entre elle, ici elles se chevauchent, se pénètrent
et sont traitées simultanément car elles
véhiculent les mêmes thèmes et les
mêmes sentiments. |
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Vous l’aurez
compris, Kitano narre ses trois histoires avec brio même
si celle de Matsumoto et Sawako constitue le fil directeur
du film. Ce qui choque dans les rapports entre les personnages
c’est la place omniprésente des non dits
qu’on qualifiera de très japonais. Les personnages
n’ont pas l’air de vivre ensemble ou de partager
quelque chose même si au fond d’eux même
leurs sentiment sont bien réels. Kitano joue avec
ce constat pour asseoir son mélodrame et nous extorquer
quelques larmes ou frissons. |
Mais il y a un mais,
un mais qui justifie le statut de film controversé.
On a souvent l’impression que le film fait du sur
place et que la forme parfaite fait de l’ombre au
fond qui est un peu léger. Les plans passent parfois
du beau au contemplatif car trop répétitifs.
Bien sûr, le film nous porte et les personnages
sont convainquants mais quand on repense à «
Hana Bi » par exemple, on reste un peu sur notre
faim. |
Il manque un peu de vie à
ce film, un peu d’humour et d’alternance. Kitano
mattraque un peu le spectateur pour lui imposer un drame sans
contrepartie. Même quand la joie fait un petit come back,
elle est de courte durée comme si Kitano ne permettait
pas à ses personnages d’être heureux. Pour
lui ils doivent se contenter du minimum, c’est à
dire d’un sourire, d’un court dialogue mais le spectateur,
lui attend un peu plus. Il faut bien sur respecter la vision
de Kitano mais on ne peut s’empêcher de penser que
certain choix qui on été faits présentaient
des alternatives tout aussi valables, mais on va pas refaire
le film. Au final Dolls est un bon film qui doit sa réussite
avant tout à son visuel puis à ses thèmes
poétiques et simples qui toucheront le spectateur. Mais
pourquoi le drame est aussi présent et implacable, pourquoi
la nuance n’est elle pas abordée, pourquoi la dualité
de Kitano n’est pas présente dans ce film comme
dans les autres ? C’est toutes ces questions en suspend
qui font de ce film une expérience à part et qui
font de Takeshi Kitano un cinéaste culte et original.
Ce dernier sait se renouveler sans perdre de vue son univers
impénétrable.
La
suite : Zatoichi (2003)
Par Nicolas Loubère
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